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Résumé
Cet article propose une analyse de l’oeuvre émergente de l’artiste Thomas Cheneseau qui sculpte et capture les outils d’un réseau comme une « seconde nature » pour proposer une « redéfinition du paysage et de l’identité même dans la condition post-numérique ». Cette démonstration nécessite d’expliciter quelques postulats de départ : elle observe une suite de pièces artistiques in et off line que nous décrirons comme les différentes faces d’une œuvre qui observe depuis ses débuts une hybridation identitaire et créatrice au sein d’une écologie du virtuel, et qui aujourd’hui tourne un regard contemplatif vers le paysage factuel. Et si Thomas Cheneseau regardait le numérique comme un unique paysage qui faute de photo-synthèse produirait sans cesse la photo d’un monde en totale réorganisation ? Regard sur un monde organique qui à chaque instant produit son image à l’image de notre regard dans le plus parfait mimétisme. De la même manière avec laquelle il surfe sur les outils soft ou hard des internets pour en détourner les flux, avec ses NaturalGlitch, Thomas Cheneseau capture cette nature qu’il aime tant arpenter pour en révéler les aberrations à travers la seule chose que la machine ne puisse copier : l’erreur qui fait de cette nature un écosystème terrestre.
Texte écrit en 2020 pour compléter les actes du colloque « Les écologies du numérique » organisé par l’Ésad Orléans (ÉCOLAB) en 2017 et 2018.
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Mots clé
Internet, nature, hacking, collaboration, Cheneseau
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Biographie
Jean-Jacques GAY
Membre de l’équipe CITU-Paragraphe de l’Université de Paris8, enseignant-chercheur, Ph. D, Jean-Jacques Gay développe des projets de résidences comme de recherche en tant qu’enseignant-chercheur avec des laboratoires universitaires, des écoles supérieures d’art et de design et des centres d’art. Critique d’art et journaliste (de Libération aux Lettres Françaises en passant par FranceTV ou Optical Sound), il collabore au comité de rédaction d’Artension (www.magazine-artension.fr), ainsi qu’à différents CA interprofessionnels et pédagogiques (Haknum, RAN, ESAD-P) et dirige l’association accès)s( cultures électroniques (www.acces-s.org). Consultant art/science et nouveaux médias au Fresnoy (Studio des Arts Contemporains), chargé de mission sur les bourses Ekphrasis et studio critique auprès du bureau de l’AICA France (www.aicafrance.org), membre fondateur du collectif SPAMM (www.spamm.fr) et aux origines de synesthésie.com, Jean-Jacques Gay revendique une pratique de réalisateur d’expositions. Après Melting Point, il prépare les curations de La Chose Mentale et de Value of Values (Maurice Benayoun), avec une première hexagonale lors de la 21e édition du festival accès)s(.
Si Internet est devenu la plus grande camera-obscura jamais conçue pour capturer le monde et ses émotions, le jeune artiste Thomas Cheneseau est devenu un des opérateurs (au sens photographique et/ou cinématographique) incontournable de la profanation même de ce dispositif cyber-industriel. Au fil d’une œuvre émergente qui observe, sculpte et capture les outils d’un réseau comme une « seconde nature », Cheneseau va engager une réflexivité artistique autour d’une « redéfinition du paysage et de l’identité même dans la condition post-numérique ».
Cette démonstration nécessite d’expliciter quelques postulats de départ : elle observe une suite de pièces artistiques in et off line que nous décrirons comme les différentes faces d’une œuvre qui observe depuis ses débuts une hybridation identitaire et créatrice au sein d’une écologie du virtuel, et qui aujourd’hui tourne un regard contemplatif vers le paysage factuel. Et si Thomas Cheneseau regardait le numérique comme un unique paysage qui faute de photo-synthèse produirait sans cesse la photo d’un monde en totale réorganisation ? Regard sur un monde organique qui à chaque instant produit son image à l’image de notre regard dans le plus parfait mimétisme. On se retrouve alors dans Predator[1], ce film à effets spéciaux des années quatre-vingt où Arnold Schwarzenegger doit faire face à une hybridation extraterrestre qui entre en parfaite osmose mimétique avec la jungle guatémaltèque pour détruire toute humanité. Seule l’erreur peut alors démasquer la machine caméléon.
De la même manière avec laquelle il surfe sur les outils soft ou hard des internets pour en détourner les flux, avec ses NaturalGlitch, Thomas Cheneseau capture cette nature qu’il aime tant arpenter pour en révéler les aberrations à travers la seule chose que la machine ne puisse copier : l’erreur qui fait de cette nature un écosystème terrestre.
Aucun inventeur de la reproduction du réel aurait pu imaginer la fabuleuse machine construite par une société capitalo-carcérale (Damasio[2]) en marche. Car, lorsque l’on dit « internet », il faut penser « les internets » comme un dispositif global. Une mécanique qui met en perspective le réseau, une suite d’applications et d’outils personnels smartphones ou/et sociaux au service d’une gouvernance cyber-industrielle… et même de gestes humains, gestes UX déposés par Apple comme propriété industrielle.
Or, c’est de ce dispositif que (se) joue le jeune artiste Thomas Cheneseau en capturant la réalité nouvelle d’une société dont la sur-nature, née du digital, « affronte » une nature en devenir, celle du réseau. Co-fondateur de Spamm.fr, Thomas Cheneseau est né dans les années quatre-vingt dans le sud-ouest de la France. Jeune artiste du monde des réseaux, étudiant en école d’art, Cheneseau poursuit un travail de partage à travers une communauté artistique internationale (Rosa Menkman, Ronen Shai, Aram Bartholl ou Kim Asendorf…). Échanges qui préfigurent le SuPer Art Modern Museum (2012) qui collaborera l’année suivante avec la chaîne franco-allemande sur spamm.arte.tv.
Et si avec le Super Art Modern Museum (SPAMM), Cheneseau entame un travail d’exposition-œuvres à travers lesquelles il se démarque d’un marché de l’art frileux face à cet « art (dit) numérique[3] » on line (NetArt), c’est d’abord par son travail de détournement artistique du réseau social Facebook, via son propre profil, que Thomas Cheneseau cultive un vraie production artistique à partir de l’outil réseau-social.
Avec Facebook Feedback il produit des séries de screenshots photos et vidéos ainsi que des activités performatives en ligne. Facebook devient alors à la fois son médium et sa toile avec un profil personnel qui (de son propre aveu) « est à considérer comme une œuvre en soi ». Il observe ainsi les limites des Réseaux Sociaux, et en particulier de Facebook, comme les limites d’un tableau… si bien qu’arrivé à certaines extrémités de ce détournement du médium, il avoue avoir dépassé les bords du tableau Facebook, et même travailler sur la tranche[4]. Sa dénonciation des GAFAMN[5] est ainsi revendiquée par autant de pièces pouvant être assimilées aux selfies d’une société dont les internets seraient l’unique objectif de prise de vue.
C’est dans cette écologie des réseaux que Cheneseau se fait remarquer en créant, et surtout en commercialisant, Le Profil Facebook de Marcel Duchamp (2011). Facebook devient alors un objet, un ready made, une œuvre d’art et un vecteur d’art comme d’autres plasticiens vont le démontrer : l’ingénieure-artiste Albertine Meunier le prouve en 2014 en hackant la firme de Montain View et activant le qualificatif « Net-art » dans les notices Google des œuvres de Marcel Duchamp, reliant ainsi l’art des Avant-gardes artistiques à un art du réseau, L.H.O[6] établit un trait d’union centenaire entre les profanateurs de dispositifs d’une esthétique à l’autre. Et comme le dit Albertine Meunier : « c’est Google qui le dit ! ».
Dans cette optique, à l’orée des années 2010, Cheneseau va développer plusieurs œuvres observant cette mécanique d’échange de flux. Nourries de Facebook et/ou Twitter, et, pourquoi pas, des œuvres de ses confrères artistes des technologies, ce jeune artiste qui a collaboré avec différents artiste-enseignant-chercheurs comme Jean-Louis Boissier (lors de son post-diplôme à l’ENSAD), Thierry Fournier (en pré-doctorat à l’ENSADLab) ou Maurice Benayoun (à travers l’expérience #1 de in/out organisée par le laboratoire CITU/Paragraphe[7]) va poursuivre une carrière de collaborations artistiques. Collaborations qui vont débuter de manière très factuelle en 2008 avec l’œuvre Cartels Numériques.
Cartels Numériques, est une pièce P2P qui se nourrit d’échanges de datas informatiques, picturaux et sonores d’œuvres d’une même exposition, œuvres connectées entre elles et auxquelles chaque Cartel Numérique propose une augmentation personnalisée, exactement comme le ferait un cartel d’œuvre d’exposition. Là déjà, Cheneseau se projette dans une écologie, celle de l’espace d’exposition, à travers une virtualité qu’il mettra en pratique dans ses futures curations virtuelles et IRL à venir.
Dans son travail avec les Flux et les datas des réseaux sociaux, Cheneseau développe aussi un travail collaboratif à travers différentes œuvres, curations et dispositifs. Un projet original naît alors en 2011 par une collaboration entre Isdant/Cheneseau/Jesperen au sein du collectif AWR (Art Without Reality) intitulé : Hekkah. Œuvre in progress Hekkah va se poursuivre en 2012/2013, puis sera réadaptée aux évolutions technologiques tout au long de ses monstrations (comme lors de Unlike en 2016). Hekkah est constituée d’un profil et d’une application. Ces deux espaces sont connectés dynamiquement et dialoguent dans un processus rétroactif.
Hekkah devient une entité numérique omnisciente et curieuse qui habite les réseaux sociaux du web dans le but de se nourrir de nos vies quotidiennes. Issue des flux qu’elle incarne, les contours de sa forme (humanoïde) ne sont visibles qu’à travers l’activité et les publications de ses contacts sur les réseaux. Hekkah n’apparaît alors que face à ses spectateurs dont elle capte le reflet et mappe les flux. Le réseau est sa sève. Il lui permet ainsi d’exister à notre vision et de persister dans nos mémoires. Si le réseau social meurt, elle viendrait à disparaître à son tour. En devenant l’ami d’Hekkah à travers son profil Facebook, le spectateur accepte d’alimenter une sculpture visible dans un espace d’exposition (écran en miroir).
Hekkah est une interface entre l’art et le monde du réseau, une sculpture informationnelle. Mais c’est surtout une Pythie[8] qui n’existe que par ses spectateurs et les (leurs) flux du (au sein du) web, invitant chacun à un regard sur une nouvelle identité sociale et collective tel le reflet dynamique des consommations de nos communautés. Processus rétroactif projetant chaque spectateur dans une écologie de vies et de datas, telle une sur-nature qui se cacherait dans les data et ne révélait son vrai visage que dans le reflet du spectateur. Comme un Predator fascinant camouflé dans les données que chacun sème dans les réseaux, Hekkah naît de notre vie sociale.
C’est à partir d’Hekkah que Cheneseau va entamer une série d’œuvres collaboratives avec différents artistes, curateurs et critiques d’art, comme une série de parties de ping pong créatif. Hekkah sera monté avec Raphaël Isdant, Spamm (2011) avec Systaime et GalerieOnline (2012) avec Ronen Shai.
GalerieOnLine est une exposition-œuvre qui de 2012 à 2017 comptera plus de 6400 followers. Cette web-galerie qui utilise le réseau social Facebook comme environnement de réalité autonome invite des artistes pour une exposition le temps d’une période donnée où le statut d’administrateur de la page leur est accordé pour habiter l’espace de la galerie comme ils le souhaitent. Cette plateforme permet à la fois une émission de performances live avec des flux d’articles, d’images, de sons, de statuts publiés en temps réel, ainsi qu’une interaction avec le public de followers, créant ainsi un écosystème créatif artistique total le temps des 26 actions artistiques. Dans cette perspective et après l’expérience menée avec Systaime dans le spamm.fr, c’est sur le terrain des médias et de l’éditorialisation que Cheneseau va travailler avec le critique d’art Jean Jacques Gay, sur La vanité du Monde, la première exposition de Spamm.arte.tv, puis sur la seconde : Data Drape. Cette dernière exposition virtuelle sera uniquement rendue sous la forme d’une performance en collaboration avec le Sliders_lab[9], organisée par Dominique Moulon lors de son ShowOff digital[10] de 2013 à Paris.
Lors de ses différentes pièces-actions, Thomas Cheneseau va chaque fois sculpter un nouvel espace : celui de l’exposition, et travailler un volume hybride, à la fois écran du créateur et écran du récepteur de l’exposition. Il faut se souvenir que, Digital Native, Cheneseau se définit comme peintre. Que depuis ses études en école d’art, il pense que travailler sur ces médias numériques engage une vraie pratique du tableau, mais d’un tableau écran qui est l’espace d’exposition. Un écran qui est un mur, une cimaise qu’il sculpte « comme du land art ». Dans de nombreux interviews Cheneseau se revendique même « comme un sculpteur frontal ![11] ».
Souvent, lorsque l’on parle du travail des net-artistes on évoque plus un Street art virtuel, que ce Land art auquel Cheneseau reste attaché à travers des œuvres éphémères nées des éléments de leurs environnements réticulaires et vouées à disparaître par obsolescence ou par nature. Ici ses pièces sont technologiques et virtuelles et elles s’implantent dans une nature qui est celle des réseaux sociaux au sein d’expositions virtuelles d’un art né de la technologie électo-numérique. C’est ainsi que Cheneseau cultive des œuvre-expositions tel que Spamm ou GalerieOnLine, mais on peut aussi citer la lafiac.com, Speed Show Brussels, No Name Net de Cuernavaca au Mexique ou le Pavillon Internet de la Biennale de Venise en 2011.
Sur le web comme sur les réseaux sociaux, avec sa tablette, son laptop ou son smartphone, Thomas Cheneseau poursuit aussi un travail performatif associé à d’autres collaborations techniques avec des développeurs rencontrés sur les réseaux. En plein air, et avec des applications spécifiques sous iOS, il travaille la vision glitch d’une réalité qu’il modèle par le truchement de son objectif 2.0 personnel, dispositif d’applications qui va lui permettre de scruter une réalité numérique augmentée de tous les instants.
Homme-Caméra, Cheneseau porte ainsi le regard de son smartphone à travers des esthétiques mixtes de son quotidien. Son téléphone intelligent devenant le KinoPravda, cinéma vérité, de sa vision artistique, faisant écho aux allégories esthétiques que Lev Manovich développe en 2012 dans son ouvrage : Le Langage des nouveaux médias[12], à travers un parallèle entre le cinéma vérité et militant de Dziga Vertov[13] et l’Art des Nouveaux médias.
Car Cheneseau surfe sur une imagerie proto-numérique de la fin des années quatre-vingt (l’image de synthèse de Predator) aujourd’hui devenue totalement organique grâce aux flux, aux applications et aux Intelligences Artificielles. La fragmentation visuelle que cet artiste met en place en association avec Dan Monaghan, qui a développé l’application Flotogram, utilise le principe de photogrammétrie[14] sur Instagram dès 2018 à partir (entre autre) des œuvres du sculpteur américain Daniel Turner (1300 followers + 800k de vues en seulement 2 mois) apparaît comme une photographie vérité d’un paysage post-numérique.
De la même manière, lorsqu’il entame avec ses étudiants de Poitiers un travail en Réalité Augmentée (Banalité augmentée, 2019-2020) il engage au déplacement du spectateur/photographe à travers un environnement factuel et définit alors une performance vérité d’une photographe 2.0 face à une réalité tangente d’un paysage. Une performance dont l’interface reste la machine-smartphone façonnée par les applications avec lesquelles l’artiste « prépare » son instrument.
Car, tel un véritable producteur musical de l’image – L’image électro-digitale ne sort-elle pas aussi des laboratoires du « père de la musique concrète » Pierre Schaeffer – Thomas Cheneseau, sur les pas de John Cage ou même de Robert Rauschenberg, « prépare » avec toutes sortes d’astuces applicatives l’outil emblématique de la puissance crypto-industrielle de ce début de XXIe siècle : le Smartphone.
Il fait de ce Smartphone une fenêtre ouvrant sur une seconde nature, sur cette sur-nature omnisciente qui nous environne sans bruit, tel un prédateur mimétique, et qui entend nous donner à voir le reflet de nos désirs alors que… la vérité est ailleurs.
Les dispositifs performatifs de pratiqueur[15] que met en œuvre Thomas Cheneseau rejoignent l’œuvre photographique in progress qu’il poursuit depuis 2015 : NaturalGlitch. Cette série de captures photographiques emmène l’artiste à travailler, pour la première fois peut-être, « en plein air[16] » pour parcourir la ville, mais surtout la campagne et une montagne qui des Alpes aux Pyrénées est devenue son terrain de jeu.
NaturalGlich est une proposition photographique qui donne à voir le pourcentage humain de toute mécanique face à la reproduction de la réalité quant à sa marge d’erreur (celle de la machine). Car le degré d’incertitude, le pépin (le Glitch), le grain de sable insufflé dans les paysages urbains et ou sauvages de Cheneseau matérialise un instantané de l’omniprésence des flux numériques de notre société. Là encore, le prédateur technologique, tapis dans la reproduction de la réalité numérique, est mis à jour.
Thomas Cheneseau devient alors le découvreur d’une sur-nature puissante, mécanique et biologique, qui ne craint à aucun moment qu’un digital intelligent ou artificiel lui usurpe son autonomie rhizomique. Car le pari est là, l’IA arrivera-t-elle à copier une erreur humaine qui n’est que naturellement humaine ?
C’est pour répondre à cette question qu’en 2019 Christophe Bruno a expérimenté, avec L’être, la Machine, le Néant (2019)[17] l’idée de faire peindre la machine en lui « injectant du Bug dans la matrice ». C’est pour répondre à cette question que Thomas Cheneseau injecte du Glitch à son dispositif de hard et de soft pour révéler la sur-nature de ses paysages.
Cheneseau, plasticien, dont l’espace d’exposition est depuis presque vingt ans un écran-cimaise travaillé comme du land art au sein d’un habitat technophile est à n’en pas douter le digne descendant des cybernéticiens. Architecte de dispositifs, il sculpte aujourd’hui cette apparition photographique comme le corps digital d’un délit invisible. Car ses images sont autant d’apparitions (numériques) invisibles à l’œil nu similaires aux clichés monomaniaques d’un David Bailey du troisième type. Blow up[18] de sur-natures, œuvres éphémères de la machine, images vouées à se dissoudre à notre regard sans compter l’intervention photographique de Cheneseau qui immortalise le phénomène comme preuve de son existence.
Car la photographie 2.0 de Cheneseau fige aujourd’hui le geste conceptuel qui habite tout son parcours. Elle révèle une seconde nature en formation à travers une nouvelle écologie de la machine. Car si à ses début Cheneseau travaille les technologies numériques à travers un Art Conceptuel qui pourrait s’apparenter au Spatiodynamisme théorisé par Nicolas Schöffer, il en révèle aujourd’hui un nouvel élan, car sa recherche tente elle aussi de s’affranchir de l’objet, pour aller de l’idée à l’effet, par le code. Ce « code », cet algorithme, qui, selon Cheneseau, reste l’ultime mise en spatialité artistique contemporaine. «Vendre des codes c’est vendre l’espace d’accrochage et l’œuvre, c’est une façon de d’uploader ! Et upload est le geste déterminant, car tout ne se passe plus que dans les codes de connexion ». Dès 2011, cette intuition annonçait NaturalGlitch et les application-filtres que Cheneseau engage aujourd’hui comme la palette de sa machine photographique pour faire naître à l’image cette sur-nature prédatrice blottie au cœur des paysages que scanne son objectif. Thomas Cheneseau est certainement l’opérateur idéal de la grande machine disruptive des internets. Sculpteur et architecte d’un paysage en devenir, au plus près d’une réalité et comme en friction avec les Orogenèses, photographies algorithmiques, de Joan Fontcuberta[19]. Les NaturalGlitch sont comme autant de selfies d’une condition post-numérique révélée au sein d’une organogenèse en marche vers une pensée biologique qui propose une « théorie des organismes » complémentaire à notre théorie de l’évolution (Ana Soto[20]). Face à cette prothétisation artistique, l’art de Cheneseau est comme l’annonciation de cette seconde nature furtive, nature cachée fascinante et baroque, fruit d’un écosystème techno-biologique en formation, bien loin d’un simple effet d’hallucinations contemporaines définies par la technologie[21].
[1] Predator, réalisé par John MCTIERNAN (1987, Los Angeles, Californie, États-Unis, 20th Century Fox), avec Arnold Schwarzenegger.
[2] Alain DAMASIO, Les furtifs, Éditions la Volte, 2019.
[3] La théoricienne des arts médiatiques Anne Marie Duguet se démarque de ce vocable « Art Numérique » par le terme de « Art (dit) Numérique ».
[4] Thomas CHENESEAU, Jean-Jacques GAY, Entretiens pour la publication Unlike Us, larevue.fr, Institut Of Network Cultures, Amsterdam 2012.
[5] GAFAMN – Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft, Netflix.
[6] Albertine MEUNIER, Les dessous de L.H.O, 2013, 404 exemplaires – Empreinte numérique SHA1 : 28bc22a3e90084d7e15944daa70438ea5f0c9510.
[7] Le laboratoire CITU/paragraphe de l’université de Paris 8 a été créé par Maurice Benayoun et Jean Pierre Balpe entre Paris 8 et Paris 3.
[8] Dans la Grèce antique, la Pythie de Delphes était préposée à l’interprétation ou à la rédaction de ses oracles.
[9] Sliders_lab est un dispositif artistique animé par les universitaires Jean Marie Dallet et Frédéric Curien qui remet en espace les narrations filmiques, [en ligne], http://www.sliderslab.com/.
[10] Le Show Of Digital eut lieu en 2012 et 2013 à l’Espace Cardin de Paris pendant la FIAC sous la direction de Dominique Moulon puis deviendra le festival Variations avant de rejoindre la Biennale NEMO.
[11] Thomas CHENESEAU, Jean-Jacques GAY, Entretiens pour la publication Unlike Us, op.cit.
[12] Lev MANOVICH, Le langage des nouveaux médias, Paris, Éditions Presses du Réel, 2012.
[13] L’Homme à la Caméra, réalisé par Dziga Vertov (1929, URSS, Studio Dovjenko VUFKU), film muet.
[14] La photogrammétrie permet de reconstruire un modèle 3D sur la base de simples photos, [en ligne], https://fr.wikipedia.org/wiki/Photogramm%C3%A9trie
[15] Emmanuel MAHÉ, « Les Pratiqueurs », in J-P FOURMENTRAUX, L’ère Post-Média Humanités digitales et cultures numériques, Paris, Éditions Hermann, 2012.
[16] Le terme « en plein air » pour la création artistique est apparu lorsque les Impressionnistes sont sortis de leur atelier pour peindre en pleine nature.
[17] L’être, la Machine, le Néant, installation de Christophe BRUNO présentée à la biennale NEMO à Paris en novembre 2019.
[18] Blow up est le film de Michelangelo Antonioni réalisé en 1966 à partir d’une nouvelle du photographe anglais David Bailet où un photographe découvre sur une de ses images un corps invisible à l’œil nu.
[19] Joan Fontcuberta est un photographe et plasticien espagnol qui a développé Orogenèses, une série d’images de paysages sans appareil imaginé par la machine à partir de toiles de Cézanne, Derain, Turner ou Dalí.
[20] Ana Soto est une biologiste argentine. Lanceuse d’alerte, elle est à l’origine des recherches sur les perturbateurs endocriniens et travaille sur la prolétarisation de la pensée biologique.
[21] Joan Fontcuberta à propos d’Orogenèses, in Laurence B. DORLÉAC, Jérôme NEUTRES (cur.), Artistes et Robots, Paris, Galeries Nationales du Grand Palais, 2018.